Anna Garcin-Mayade fait des croquis au moment où elle se trouve dans le camp de Ravensbrück. Malheureusement, à la Libération du camp par la Croix-Rouge suédoise, ses dessins sont brûlés pour des raisons sanitaires. A partir de son retour de déportation en 1945, et jusqu’à la fin de sa vie, Anna refait ses oeuvres de mémoire pour témoigner des horreurs vécues. Son art oeuvre contre l’oubli.
Les deux importantes collections de ses oeuvres de déportation sont aujourd’hui conservées à la mairie de Pontgibaud (45 oeuvres) et au musée Michelet où elle fait don de 20 oeuvres le 5 mai 1978. Des lettres écrites par Anna dans les années 1970 racontent la création de ses oeuvres de mémoire.
Anna Garcin-Mayade, Block n°6, Huile sur panneau d’isorel, 114 cm x 145,5 cm, Coll musée Michelet, n° inv. : 000.1.20.
Cette oeuvre, réalisée de mémoire par Anna, représente le block n°6 du camp de Rechlin. Il s’agit de l’oeuvre de plus grand format qu’Anna réalise sur sa déportation.
C’est une peinture à l’huile mettant en évidence une scène de vie quotidienne, de souffrance et de promiscuité pour ces femmes. A droite, à l’intérieur du block, se trouve une gardienne armée d’une cravache (un kapo). Dans l’ombre de la fenêtre à gauche, on distingue l’ombre menaçante d’un soldat.
Anna s’est représentée sur l’oeuvre, assise contre le mur de gauche, la main sur le coeur. Debout à ses côtés, son amie Marguerite Pradel, dite Popo.
Dès son retour en France en 1945, elle veut témoigner des horreurs vécues. L’art devient un moyen pour elle de s’exprimer, de témoigner, de faire qu’on n’oublie jamais. « Il m’est impossible de décrire toutes les scènes d’horreur et de désespoir qui m’ont terrifiées durant mon séjour au camp de la mort lente… (…) J’étais là pour y mourir un peu plus chaque jour« . Confrontée à l’indicible de l’enfer concentrationnaire, elle parvient à témoigner à travers l’art, à travers la peinture, le dessin.
Les dessins réalisés au fusain abordent les différents aspects de la vie quotidienne dans le camp : les travaux forcés, la promiscuité entre les déportées, l’obsession de la nourriture, la mort… La thématique la plus représentée est celle des travaux forcés, montrant différentes scènes décrites par Anna : les travaux de terrassement, le creusement de tranchées, le chargement de wagons…
Il est intéressant de voir qu’Anna ajoute sur ses dessins au fusain des titres et quelques lignes manuscrites pour raconter la scène dessinée.
Dans ses tableaux peints à l’huile, sur des panneaux d’isorel, de plus grand format, l’artiste cherche à retrouver les traits de ses camarades de déportation, dans des scènes de la vie quotidienne. Les expressions sont authentiques, les visages creusés par la faim, les regards hagards, témoignant de la déchéance vécue.
Elle se prend aussi parfois comme sujet en réalisant quelques autoportraits : notamment dans l’oeuvre « A Popo » conservée au musée Michelet (n° inv. : 000.1.5) ou dans l’oeuvre « La Libération du camp » conservée à la mairie de Pontgibaud (n°39).
Anna signe souvent les oeuvres de sa déportation réalisées à l’huile, et parfois certains dessins réalisés au fusain, de son numéro de matricule : « N°39.119 ».
Ce qui est palpable dans l’oeuvre d’Anna, c’est le rapport permanent entre déshumanisation et humanité.
Dans les oeuvres qu’elle réalise, elle représente à la fois, des scènes de groupes avec des déportées représentées ou évoquées par des silhouettes sans visages. Elles ne sont que groupe, masse, matricules.
Et à la fois, elle livre aussi des oeuvres saisissantes d’humanité avec des portraits très réalistes de certaines de ses camarades de déportation, tourmentées par la peur, les brimades et la faim.
De nombreuses autres femmes ont témoigné de l’horreur vécue dans le camp de Ravensbrück par l’art, que ce soit par le dessin avec des croquis, par la peinture, par la musique ou la poésie…
Parmi les artistes les plus représentatives du camp, on peut citer Violette Rougier-Lecoq (1912-2003) qui dessine clandestinement la réalité des déportées dans le camp de Ravensbrück, sur des supports dérobés à l’infirmerie du camp (papier de radiologie, papier vélin noir). Elle n’a pas suivi de formation artistique avant son arrivée dans le camp. Elle commente souvent les scènes représentées de la vie dans le camp d’un titre ironique pour témoigner et contrer l’humiliation et la déshumanisation. Les dessins de la résistante sont d’ailleurs utilisés lors du Procès de Ravensbrück qui a lieu à Hambourg entre 1946 et 1947. En 1948, elle réunit certain de ses croquis retraçant le parcours d’une femme dans le camp et les publie dans l’album Témoignages 36 dessins à la plume Ravensbrück.
Citons également Jeannette L’Herminier (1907-2007) qui porte le matricule « 27.459 » à son arrivée au camp de Ravensbrück et qui n’a pas non plus de formation artistique, mais qui a étudié l’histoire de l’art à La Sorbonne et à l’école du Louvre. Elle réalise des dessins dans le camp qui ont été sauvés : 148 d’entre eux sont d’ailleurs conservés au musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon et au musée de l’Ordre de la Libération à Paris. Dans le livre Triangle rouge, de Catherine Roux, publié en 1986 et préfacé par Geneviève de Gaulle, c’est Jeannette L’Herminier qui illustre le récit avec des croquis du camp de Ravensbrück.
France Audoul (1894-1977) a été formée, quant à elle, à l’école des Beaux-Arts de Lyon et expose à Paris en 1929 au Salon des Indépendants. A son arrivée au camp de Ravensbrück, on lui attribue le numéro de matricule « 27.933 ». Elle réalise dans le camp des croquis clandestins, pris sur le vif, dont la plupart sont également conservés au musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon. Elle réalise également, après son retour, un ouvrage composé de 32 portraits et croquis faits au camp de 1944 à 1945 : 150 000 femmes en enfer.
Jeanne Letourneau (1895-1979) a suivi une formation de dessin à Paris et devient ensuite professeure de dessin au collège de jeunes filles d’Angers. Elle porte le matricule « 19.415 » à Ravensbrück. Tout comme Anna Garcin-Mayade, Jeanne Letourneau est transférée dans le camp de Rechlin et réalise un dessin du « Block 6« . Elle a ramené du camp des esquisses qu’elle avait crayonné à l’aide d’un morceau de charbon sur des papiers récupérés.
Il est intéressant de noter également que les témoignages artistiques passent également par d’autres formes que le dessin. C’est notamment le cas pour Germaine Tillion (1907-2008) qui arrive dans le camp de Ravensbrück le 21 octobre 1943 et est placée dans la catégorie des Verfügbar, des prisonniers non affectés à un kommando de travail, mais « disponibles » pour les pires corvées. En octobre 1944, elle écrit sur un cahier soigneusement caché, une opérette Le Verfügbar aux Enfers où elle y mêle des textes relatant avec humour les dures conditions de détention et des airs populaires. Le cahier est sauvé au moment de la Libération.