Anna arrive au camp de Ravensbrück le 16 mai 1944. On lui attribue le numéro de matricule n°39.119 comme seule identité, et on lui fait porter le triangle rouge, symbole des détenus politiques.
Le camp de Ravensbrück est un camp nazi construit pour détenir les femmes déportées. Il se trouve à 80 kilomètres environ du nord de Berlin, au bord d’un lac. Le camp ouvre en mai 1939. Entre 1939 et 1945, ce sont 130 000 femmes qui en ont franchi les portes. On estime entre 30 000 et 90 000, le nombre de femmes qui y ont trouvé la mort.
Anna passe plusieurs mois dans le camp de Ravensbrück, de mai 1944 à février 1945. Affectée à des travaux pénibles, privée de sommeil, abrutie de fatigue, elle échappe un jour des condensateurs électriques en porcelaine qui se brisent sur le sol. Accusée de sabotage, elle échappe de peu au crématorium : « Il se trouvait que je n’étais pas suffisamment malade pour être brûlée, ils m’ont donc transférée dans un camp de la mort lente, c’est-à-dire à Rechlin. Oh là là c’était un enfer Rechlin », comme elle le raconte en 1976. Le Kommando Rechlin-Retzow ou « camp de la mort lente » était situé sur une base militaire d’aviation, à 30 kilomètres au nord de Ravensbrück. Elle travaille là-bas pour l’usine Siemens.
Anna se lit d’amitié avec plusieurs autres déportées qu’elle rencontre à Ravensbrück.
Dans une lettre envoyée le 31 août 1945 à Madame Labate, la fille de son amie Juliette rencontrée dans le camp, Anna explique : « Avec ma chère Juliette, nous avons travaillé plusieurs mois à la colonne du sable, près des jardins, puis, nous nous sommes séparées, car j’ai dû aller travailler à l’usine Siemens, votre mère était restée au bloc 31, en qualité de chef de table, elle se donnait beaucoup de mal, étant très découpée et très consciencieuse elle avait gagné l’estime de beaucoup d’entre nous. En février, j’ai eu le chagrin d’être séparée d’elle ; ayant été débauchée à l’usine Siemens j’ai du partir en transport à Rechlin là-bas je suis restée deux mois ; à mon retour à Ravensbrück pour être rapatriée, mon premier mouvement a été de savoir si votre mère était toujours au bloc 31. J’ai eu l’immense chagrin d’apprendre qu’elle avait été au Revier avec une pneumonie et qu’elle n’était plus. »
Elle devient également l’amie de Marguerite Pradel (1889-1961), une résistante tulliste qu’elle rencontre à Rechlin. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Marguerite Pradel accueille des rencontres entre résistants dans sa librairie, située au 10, rue Jean-Jaurès à Tulle (Corrèze). Elle est arrêtée par la Gestapo le 19 octobre 1943 et déportée dans le camp de Ravensbrück le 30 janvier 1944, à l’âge de de 56 ans. Elle a sauvé plusieurs personnes en leur fournissant de fausses pièces d’identités. Dans le camp de Rechlin, elles se trouvent l’une en face de l’autre sur les châlits, et Anna s’exprime sur leur lien d’amitié : « J’avais Madame Popo, madame Pradel de Tulle. C’était un exemple, ô le plus bel exemple d’abnégation (…) Elle souffrait, beaucoup, et tout le temps, tout le temps elle nous donnait confiance, patience. C’est merveilleux, jamais je ne l’ai entendu se plaindre, jamais ». Elles ont été transférées toutes les deux du camp de Rechlin jusqu’à la Suède lors de la libération du camp par La Croix-Rouge suédoise le 23 avril 1945 et 60 femmes sont mortes pendant ce transfert. Marguerite Pradel a été prise pour morte, et elle a été mise à la morgue : « Tout d’un coup, on s’aperçoit qu’elle bougeait, qu’elle remuait. Alors vite les docteurs l’ont soignée et ils l’ont tellement bien soignée qu’elle a vécu encore longtemps à Tulle. Mais la pauvre elle a beaucoup souffert ». Souffrant du typhus, elle part se reposer quelques temps en Suisse chez des amis et reprend ensuite sa librairie de Tulle jusqu’à sa mort en 1961.
Anna Garcin-Mayade, A Popo, Huile sur panneau d’isorel, 38 cm x 55 cm, Coll musée Michelet, n° inv. : 000.1.5.
Anna s’est représentée sur cette oeuvre, elle regarde droit devant elle, nous fixant dans les yeux. A son bras, on remarque son brassard portant son numéro de matricule « 39.119 ». A sa gauche, elle représente sa mère attablée.
Cette oeuvre est dédiée « A Popo », à Marguerite Pradel, son amie de déportation. Elle la représente également sur d’autres oeuvres, donc l’huile de grand format « Block n°6″.
Anna rencontre également une autre résistante, Gabrielle Goudoux (1914-2007). Elle est membre des Jeunesses Communistes, et s’oppose, dès juillet 1940, au gouvernement de Pétain. Elle organise des distributions de tracts à Brive avec Germain Auboiroux, Robert Delord, Marcel Pocaly, Robert Lacombe… En décembre 1940, elle s’installe à Limoges et est chargée de la propagande anti-vichyste. Le 29 juin 1941, elle est arrêtée et condamnée une première fois par le tribunal militaire de Clermont-Ferrand (section spéciale) à 5 ans de travaux forcés et 20 ans d’interdiction de séjour, puis une deuxième fois le 21 septembre 1941, par le tribunal de Périgueux à 15 ans de travaux forcés supplémentaires. Internée par la police française et livrée à l’occupant nazi, elle est déportée à Ravensbrück où elle porte le matricule « 39.115 ». Anna représente Marguerite Pradel et Gabrielle Goudoux sur l’oeuvre « Femmes courbées sur leur pelle » conservée au musée Michelet (n° inv. : 000.1.7).
La vie dans le camp, ce sont aussi les vols à répétition et l’égoïsme : « On avait un mal fou à conserver ce pauvre petit sac qui contenait notre pain, notre malheureux pain qui était notre monnaie d’échange. »