Le jour où sa vie bascule

Le jour où sa vie bascule

Les troupes allemandes occupent la ville d’Epinal dès le mois de juin 1940. La Feldkommandantur s’installe au 17, rue Gambetta, et la Gestapo au 18, rue de l’Ecole normale. Epinal appartient désormais à la zone interdite : il est impossible de pouvoir y accéder sans un laissez-passer. 

Le 31 octobre 1941, sa vie bascule lors d’un cours de dessin dispensé de quinze à seize heures à une classe de première au collège de jeunes filles d’Epinal. 

Ce jour-là certaines élèves d’Anna se sont rencontrées avant d’entrer en classe. Elles ont discuté du mot d’ordre lancé par le général de Gaulle sur la radio de Londres le 25 octobre 1941. Lors de son discours exprimé pour les otages exécutés à Nantes et Bordeaux, il demande : « Vendredi prochain, 31 octobre, de 4 heures à 4h.05 du soir, tous les Français, toutes les Françaises, demeureront immobiles, chacun là où il se trouvera. Dans les champs, dans les usines, dans les bureaux, dans les écoles, dans les magasins, tout travail sera interrompu. Dans les rues, personne ne bougera (…). La France va faire voir au monde qu’elle n’appartient à personne, sauf à elle-même. (…) Vendredi prochain, 31 octobre, de 4 heures à 4h.05 du soir, pour toute la France, « Garde à Vous! ».

Discours du général de Gaulle prononcé sur Radio Londres le 25 octobre 1941 appelant à l'immobilité de 16h à 16h05 le vendredi 31 octobre 1941 - Ouvrage "Discours et messages"

Ce jour-là, quand sonne la cloche pour annoncer la fin du cours, les élèves restent assises. Anna leur demande pourquoi elles ne rangent pas leurs affaires, et personne ne lui répond. Elle leur dit qu’elles peuvent rester jusqu’à 17 heures si elles le souhaitent, et reste assise les bras croisés, derrière son bureau. Trois élèves sortent de la classe, mais les autres restent, parfaitement immobiles, et quittent la classe après les cinq minutes. Anna se rend dans le bureau de la directrice du collège pour lui relater ce qui vient de se produire dans sa classe. C’est à ce moment précis que tout bascule pour elle : la directrice informe le préfet des Vosges. 

Une fois mis au courant par la directrice, le préfet ordonne l’arrestation d’Anna le 31 octobre 1941. Une enquête est ouverte par la police spéciale suite à deux événements : la déclaration d’Anna à la directrice : « Nous avons fini le dessin et nous avons fait cinq minutes de silence… pour nos morts qui ont été fusillés » considérée comme une manifestation anti-allemande. Et pour une réflexion faite le matin même par Anna dans sa classe de 4ème : « Si vous avez du cuivre ou du nickel à la maison, cachez-le, car on viendra vous le réquisitionner » (à propos des tubes de couleurs utilisés dans ses cours). 

Anna Garcin-Mayade a toujours pensé avoir été dénoncée par trois de ses élèves, les trois qui sont sorties de sa classe le 31 octobre 1941. C’est ce qu’elle raconte à Béatrice Cibot qui l’a interviewée et enregistrée le 4 mai 1976. 

Dans son dossier judiciaire consulté aux Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, il apparaît que c’est la directrice de l’établissement qui l’a dénoncée au préfet des Vosges. Les élèves ont simplement raconté les évènements aux policiers lorsqu’elles ont été auditionnées, et aucune n’a dit qu’Anna était à l’initiative de la manifestation.